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Cerfaos
Cerfaos
L'appel du gravier

La Première Sortie

🏷️ Épopées 📅 16 Sep 2025 ⏱️ il y a 3 semaines 👁️ 334 vues
La Première Sortie
🏷️ Épopées

Chapitre I — Le ruban des vignes et le fil du ciel

Nous sortîmes par les rues sages, celles où dorment encore les mystères domestiques et où les réverbères rêvent de phares. Déjà la frontière approchait, cette ligne invisible où la ville s'efface devant les vignes comme un sortilège qui se retire.

Un ruban blanc ouvrit le bal — la route des Tuatha Dé Danann (les Gens de la Déesse Dana, maîtres divins de tous les arts), tracée par les anciens pour que dansent les roues des mortels.

« Voilà un chemin qui connaît les secrets, » murmura Cerfaos en humant l'air du matin. « Les vignes sont les bibliothèques des terroirs. Elles gardent la mémoire du soleil et des pluies. »

Aerlinn frémit sous moi, comme un cerf sacré qui reconnaît son territoire.


Chapitre II — Le genou diplomate donne son visa

Les pneus chuchotèrent leurs premiers mots à la route, langue secrète des caoutchoucs sur l'asphalte tiède. La chaîne dit « ça va » dans un murmure huilé, bénédiction mécanique pour les kilomètres à venir.

Sur les cocottes, confort et causerie comme au coin du feu ; en bas du cintre, promesse de vitesse et confidences aérodynamiques. Mon genou droit, ce diplomate fatigué des négociations quotidiennes, hocha la tête d'un air entendu.

« Par Lugh (dieu celte des arts et de l'artisanat) ! » s'exclama Cerfaos. « Voilà un genou qui a compris les traités de paix avec la pédale ! »

Des cailloux blancs sur l'accotement, des étoiles cachées dans le ciel de jour, et nous deux au milieu — trinité cycliste dans l'immensité des vignes.

Le compteur clignotait ses premiers chiffres : « 1.2 km », langage mystérieux du petit peuple électronique qui habite les écrans et compte nos pas vers l'Annwn (l'Autre Monde gallois).


Chapitre III — Cocottes qui causent, bas de cintre qui file

Aerlinn chantait bas, complainte d'acier heureux sur sa première vraie route. Calen rassurait de ses reflets verts, promesse de longévité dans les rayons du soleil matinal. Cerfaos souriait avec cette patience séculaire de ceux qui ont vu naître mille aventures cyclistes.

Pas de bosse à l'horizon, la monture se file sur le plat comme un navire sur une mer d'asphalte. Dans les virages sournois, elle glissa comme pluie d'été, souple et sûre, trouvant d'instinct la trajectoire des légendes.

Je me surpris à penser, dans cette euphorie des premiers kilomètres : « Tiens, je rallongerais bien cette aventure. » Car enfin, comme disent les sages du Royaume de l'École Normale Supérieure de Bicyclette, un cycliste heureux ne compte plus les kilomètres : il les savoure.

« Les sensations parlent vrai, » philosopha Cerfaos. « Écoute-les comme un druide écoute le vent dans les chênes. Tes mains ne souffrent pas, c'est que les cocottes ont trouvé leur maître. »

Seuls quelques fourmillements aux pieds rappelaient que j'étais encore novice dans l'art délicat de l'équilibre pédalier.


Chapitre IV — Serment au royaume des truites

Au bord de la rivière où murmurent les eaux secrètes, territoire des truites contemplatives et des cyclistes sentimentaux, je mis pied à terre pour un rituel ancestral.

Face au courant qui chante les légendes du temps, je fis un pacte solennel avec les puissances cyclistes :

1. Tenir un journal de bord des mystères mécaniques (pressions runiques, réglages d'alchimie, humeurs de la monture) — car les sages savent que la mémoire du corps vaut tous les grimoires.

2. Ne point confondre « sortie initiatique » avec « aller chercher le pain à dix-huit kilomètres » — distinction capitale selon le Codex des Vélocipédistes Éclairés.

3. Accepter qu'un mollet timide sait danser, pourvu qu'il choisisse son tempo dans la grande symphonie du pédalage — car la pudeur n'est pas faiblesse, mais sagesse qui attend son heure.

Les truites, témoins silencieux, approuvèrent d'un battement de queue. Même les libellules suspendirent leur vol pour écouter ces vœux de néophyte.

« Voilà des serments dignes d'un chevalier du Sidhe, » acquiesça Cerfaos. « Les rivières gardent longtemps le souvenir des promesses sincères. »


Chapitre V — Journal de bord des réglages

[Consigné au bord des eaux, sous le regard complice de l'épervier]

Révélations mécaniques :

  • +3 mm de selle — paix signée avec mes rotules, traité de non-agression ratifié par les cartilages
  • -0.2 bar à l'arrière pour apprivoiser les chemins cassants et leurs colères d'asphalte
  • Objectif suivant : plus de 30 km, conquête progressive des territoires lointains
  • Mission technique : affûter les disques, ces lames circulaires gardiennes de nos arrêts
  • Devoir poétique : immortaliser ces vignes en photographies, témoins lumineux du pacte scellé

Le quadriceps gauche, ce muscle susceptible, avait émis quelques protestations à son point d'insertion. « Mystère à élucider, » nota Cerfaos. « Les corps parlent toujours vrai, il faut apprendre leur langue. »


Chapitre VI — La Route couturière et son fil blanc

La Route, cette vieille couturière aux mains patientes, coud le ciel à la terre avec un fil blanc d'asphalte et de rêves. Elle connaît tous les secrets : où passent les nuages, où se cachent les côtes, où souffle le vent complice.

Aerlinn tient l'aiguille de cette couture éternelle, ses roues traçant l'invisible ligne entre hier et demain. Cerfaos garde la légende, mémoire vivante des routes parcourues et de celles qui restent à découvrir.

Et moi je pédale — à ma mesure, sans honte ni fanfaronnade, avec cette joie un peu bête qui vaut toutes les puissances de croisière du monde et tous les chronomètres des champions.

Car enfin, qu'est-ce qu'un cycliste sinon un rêveur qui a trouvé ses ailes dans une mécanique de précision, un poète dont la plume est faite de rayons et de chaîne ?

Noir quand je rêve aux horizons mystérieux, rouge quand je respire l'air pur des matins cyclistes. Aerlinn Calen sous le soleil généreux, Cerfaos Ar Karv au coin de l'œil bienveillant.

Des cailloux blancs comme des promesses, des étoiles cachées comme des secrets... et nous deux au milieu, trinité heureuse sur la route couturière qui ne finit jamais de coudre le monde ensemble.